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Association des établissements scolaires protestants évangéliques francophones
Du bien-fondé des écoles indépendantes
Du bien-fondé des écoles indépendantes
Par Nathanïel CARON.
On entend souvent des idées toutes faites sur les établissements scolaires privés, et qui plus est sur ceux non contractuellement liés à l’État. Des écoles qui favoriseraient le communautarisme, l’entre-soi et la ségrégation sociale ; qui fragiliseraient le pacte républicain, la laïcité et l’égalité entre les écoliers. Des écoles « libérales » qui ne suivraient pas à la lettre le « programme officiel » et qui, à cause de leur liberté pédagogique, seraient susceptibles d’employer des méthodes et de transmettre des contenus parfois douteux.
Il me semble au contraire utile, voire nécessaire, d’offrir à la France un réseau d’écoles indépendantes qui non seulement ne s’oppose ni n’affaiblit l’école publique gratuite et laïque, mais plus encore lui propose une concurrence stimulante et bénéfique. Professeur au sein d’un établissement privé protestant indépendant, je n’ai jamais justifié mon investissement au service de la liberté scolaire par une quelconque hostilité de principe à l’école publique. S’il est aisé de comprendre l’adhésion au projet de l’école « fonction d’État » pour les uns, l’impossibilité de faire un choix entre ces deux alternatives pour les autres, on ne peut en revanche justifier cette hostilité viscérale qu’entretiennent certains Français (parents, politiques ou professionnels) à l’égard d’un système éducatif alternatif, qui loin de fragiliser les principes républicains, doit plutôt son existence à leur application effective. L’intention ici n’est pas de convaincre ou de rallier, mais simplement de déconstruire quelques idées reçues caricaturales, voire erronées et malheureusement souvent désobligeantes envers ceux qui s’investissent sans compter au service des enfants.
Qu’est-ce qu’une école privée indépendante ou « hors-contrat » ?
Un établissement scolaire indépendant est agréé par l’Éducation Nationale sans lui être contractuellement lié. Il est donc « hors-contrat ». Il est placé sous l’autorité conjointe du préfet et du recteur et doit répondre à des obligations : le directeur doit avoir enseigné au moins cinq ans avant l’ouverture de l’établissement, les enseignants du primaire doivent avoir au minimum fait deux années d’étude après le baccalauréat, les programmes doivent permettre aux enfants d’acquérir les connaissances du socle commun, les normes en vigueur concernant l’accueil d’un jeune public doivent être respectés, etc. Des inspections régulières ont lieu pour s’assurer de la mise en pratique de ces obligations. En outre l’absence de signature d’un contrat avec l’État offre une plus grande liberté à l’équipe pédagogique qui peut se réapproprier le programme et user de pédagogies innovantes. Les quotas d’élèves par classe fixés par l’Éducation Nationale ne sont pas non plus à respecter, ce qui permet à de nombreuses écoles indépendantes de faire le choix assumé des petits effectifs. Mais cette indépendance vis-à-vis de l’État a un prix puisque les établissements hors-contrat doivent salarier le personnel et honorer leurs charges sans recevoir aucun financement de la part de l’État.
Une école privée indépendante est-elle « en dehors des lois » ?
On l’oublie souvent, mais la scolarisation n’a jamais été obligatoire en France. C’est l’Instruction qui l’est depuis les lois Ferry. La Constitution française, les conventions internationales et les traités affirment tous le même principe résumé par l’article 26-3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ». La loi Debré de 1959 rappelle d’ailleurs que la liberté de l’enseignement n’est rien d’autre qu’une manifestation de la liberté d’expression[1]. C’est, en second lieu, pour permettre à cette « instruction obligatoire » de trouver une application effective que l’État doit garantir un accès à l’instruction pour tous. L’école publique, gratuite et laïque est l’institution qui permet de venir en aide aux parents dans leur charge d’éducateur.
On comprend donc aisément que les établissements indépendants ne sont pas « en dehors des lois », mais à rebours, en facilitent leur application. Ils garantissent la liberté des parents et servent la démocratie et l’État de droit.
Faut-il opposer école privée et école publique ?
Certes, à la fin du XIXe et au début du XXe, l’opposition entre la jeune école publique laïque de la IIIe République et l’imposante école privée catholique cléricale qui pendant des siècles eut le monopole sur l’enseignement était avant tout d’ordre idéologique. Les partisans de l’une étaient les adversaires de l’autre. Deux regards se posaient sur la France, deux programmes entraient en concurrence. Mais qu’en est-il en 2020 et quel est le projet des acteurs de l’enseignement aujourd’hui ? Les écoles privées et publiques actuelles ne sont pas celles d’hier et n’ont aucune raison de se considérer comme rivales. Elles ont à gagner à se concevoir comme complémentaires car, à la suite de Condorcet, nous ne pouvons nier que la République ne saurait avoir d’école publique de qualité si elle refusait la concurrence stimulante d’un secteur éducatif libre. Soutenir ou travailler dans une école privée (et qui plus est « hors-contrat ») ce n’est pas s’opposer à l’école publique. C’est au contraire affirmer, au côté de l’État, la légitimé de la société civile en matière d’instruction et empêcher une emprise monopolistique d’un ministère sur une mission qui concerne l’ensemble de la société.
Ces écoles remettent-elles en cause ou fragilisent-elles la laïcité ?
Affirmer une telle chose est méconnaitre autant les écoles privées que la laïcité. Rappelons que la laïcité est la neutralité de l’État en matière religieuse et philosophique – et par conséquence du service public. Elle implique la séparation des Églises et de l’État. Neutralité et séparation ont un objectif : protéger les libertés fondamentales. La laïcité n’exclut ni ne nie. Elle garantit les libertés de la société civile : libertés de conscience, d’expression, d’opinion, de religion.
Ainsi, l’école publique (et ses enseignants) ne peut qu’être laïque, c’est-à-dire neutre en matière philosophique et religieuse, car ses programmes et son administration dépendent directement de l’État. Les écoles privées, quant à elles, sont administrées par des membres de la société civile, qui eux n’ont pas ce devoir de neutralité. Sont-elles anti-laïques pour autant ?
Non seulement elles ne le sont pas, mais elles bénéficient d’une liberté permise et garantie par la laïcité. Enseigner ou scolariser son enfant dans un établissement confessionnel n’est pas participer à la fragilisation de la laïcité. C’est au contraire la respecter et réaffirmer cette distinction fondamentale entre une nécessaire laïcité de l’État que nous chérissons et une fade laïcisation asséchante de la société dans laquelle nous ne nous retrouvons pas. Cela étant dit, il est bon de rappeler que si l’écrasante majorité des établissements privés sous-contrat est catholique (aux alentours de 90%), moins d’un tiers des établissements hors contrat est confessionnel[2] (toutes religions confondues).
L’école privée payante remet-elle en cause le principe d’égalité ?
C’est un argument que l’on donne souvent, pour discréditer les projets éducatifs «humanistes» des écoles privées : l’école privée remettrait en question l’égalité de tous les jeunes citoyens qui, à l’école publique, peuvent être instruits gratuitement sans distinction de classe sociale. Cet argument pourrait presque être perçu comme sarcastique : reprocher à un établissement privé d’être payant, c’est lui reprocher tout bonnement d’exister. L’école privée demande des efforts financiers de la part des parents, comme des enseignants qui travaillent souvent davantage pour un salaire moins élevé que dans le public. Pour autant, s’il existe des écoles dont les écolages sont très élevés, d’autres cherchent à limiter les dépenses et font appel à des parrainages pour s’adresser aussi à des familles qui ne peuvent se permettre d’offrir une école onéreuse à leurs enfants. Mais les écoles privées sont-elles responsables de cette inégalité ? La Fondation pour l’École propose par exemple d’imiter la Suède en mettant en place la politique du « chèque éducation » remis par l’État aux parents ; chèque correspondant au coût de l’éducation de leurs enfants. Ces derniers peuvent l’utiliser dans l’école de leur choix, publique ou privée, pour y régler les frais de scolarité.
Des écoles hors-contrôle aux multiples dérives ?
« Professeurs peu qualifiés », « méthodes douteuses », « dérives sectaires » entendons-nous parfois de la bouche de certains … qui n’ont souvent jamais mis les pieds dans un de ces établissements qu’ils critiquent sans nuance. Alors oui, il existe des écoles traditionnalistes dont les enseignements sont parfois discutables. Oui, des erreurs peuvent être commises par une équipe pédagogique. Non, les écoles indépendantes ne sont pas parfaites. Mais l’école publique l’est-elle ? Ces préjugés ne méritent pas qu’on s’y attarde trop longuement car les chiffres et les faits parlent d’eux-mêmes. D’une part, il est bon de rappeler que le statut hors- contrat d’un établissement ne lui permet pas de faire tout ce que bon lui semble et que les dérives sectaires sont une des raisons qui peuvent conduire à la fermeture d’une école privée.
Quant au recrutement, si la direction d’une école indépendante a la liberté du choix de ses enseignants, ces derniers doivent respecter des critères, y compris en matière de diplômes qui sont identiques à ceux des enseignants contractuels de l’Éducation Nationale. Cela étant dit, rappelons que de nombreux enseignants du privé enseignent aussi ou ont enseigné dans le public, confirmant l’opposition idéologique de plus en plus dépassée entre privé et public.
D’autre part, les chiffres qui, me semble-il, ne mentent pas, sont ceux des réussites aux épreuves nationales. Alors que les établissements indépendants sont privés du contrôle continu et sont soumis à des exigences plus nombreuses, les résultats de leurs élèves aux épreuves nationales sont bien meilleurs que la moyenne nationale : 87,9% de réussite au baccalauréat dans les établissements publics et sous-contrat, contre 94,8% dans les établissements hors-contrat[3]. On peut expliquer ces résultats par de nombreux facteurs (dont celui des petits effectifs), mais certainement pas par celui des méthodes et contenus douteux.
Nathaniël CARON
Doctorant en Histoire. Engagé en tant qu’enseignant à l’école du Petit Prince
[1] Un bon article qui va plus loin dans la réflexion : GOUVELLO (le) Adeline, « La liberté scolaire est défendue par la Constitution et les traités !», Figaro Vox, 23 février 2018
[2] DAMGÉ Mathilde, « Hors contrat : comment comprendre le succès des écoles alternatives ?», Le Monde, 31août 2018
[3] Pour plus de précisions, consulter le site de la Fédération des Parents des Écoles Indépendantes (FPEEI) qui transmet des informations intéressantes sur l’actualité du hors-contrat. (https://www.fpeei.fr/resultats-au-bacdes-lycées-hors-contrat/)