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Association des établissements scolaires protestants évangéliques francophones
500 ans. La Réforme et l’éducation
En affichant, le 31 Octobre 1517, ses 95 thèses contre les indulgences sur la porte de l’église du château de Wittenberg (Saxe), Martin Luther jetait les bases de la Réforme dont nous fêtons cette année 2017 le 500ème anniversaire.
Ce mouvement de retour au message des Ecritures, à la place centrale de la Bible, mais aussi à la foi seule, à la grâce seule, et au Christ seul, ont transformé durablement la société, la vision de Dieu, de l’homme et du monde, et donc l’éducation. La vérité biblique retrouvée du sacerdoce universel entraîne la nécessité que chaque être humain, image de Dieu, puisse être éduqué afin d’accéder sans intermédiaire au message de la Bible, premier abécédaire, et donc à Dieu lui-même. Il faut donc rendre accessible la Bible à toute la population, à tous les enfants, aux filles et aux garçons. C’est ce qui va motiver l’immense effort d’éducation qui accompagne le mouvement de la Réforme que saluera plus tard l’historien Michelet: « l’école a été le premier mot de la Réforme ».
La Réforme et l’école.
Les 16ème et 17ème siècles sont témoins d’un mouvement d’implantation d’écoles protestantes sans précédent, motivé par ce cri de Luther qui retentit partout en Europe : « Instruisez le peuple ! Et surtout prenez à cœur son développement spirituel ! Créez un peuple chrétien ! Pénétrez-le de l’Esprit de l’Evangile ! C’est là seulement qu’est, pour la nation, l’ancre de salut. ». Le Réformateur développe cette nécessité des écoles où les Ecritures sont « souveraines » par trois textes fondateurs :
- « A la noblesse chrétienne de la nation allemande. » (1520)
- « Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les inviter à ouvrir et à entretenir des écoles chrétiennes» (1524)
- « Prédication sur le devoir d’envoyer les enfants à l’école» (1530).
Martin Luther
Cette vaste entreprise scolaire n’est pas le fruit d’un repli identitaire quelconque, mais trouve sa motivation dans la volonté de bâtir sur ce Roc de la Parole de Dieu qui donne à la fois le fondement, le sens et le but à tout ce que l’on apprend : « Je ne conseille à personne de placer son enfant là où les Saintes Ecritures ne sont pas souveraines. Je crains bien que ces écoles ne démontrent qu’elles sont les larges portes de l’enfer, à moins qu’elles ne s’efforcent diligemment d’expliquer les Saintes Ecritures et de les graver dans le cœur des jeunes. Toute institution dans laquelle les hommes ne sont pas continuellement préoccupés de la Parole de Dieu est vouée à la corruption.[1] » Il s’agit non pas de « protéger » l’enfant, , mais de le « former », de faire de lui « un ange, un serviteur, un roi et un prince dans Son royaume, un sauveur et un consolateur des hommes dans leur corps et leur âme, leur bien et leur honneur, un capitaine et un chevalier contre le diable » (Luther)
Cet appel de Luther est relayé par nombre de Réformateurs, comme Mélanchton qui sera appelé « l’instituteur de l’Allemagne » : « Il ne fait aucun doute que l’activité d’enseigner et d’apprendre représente la forme de vie la plus appréciée de Dieu. Dans ce sens, l’école a la priorité sur les Eglises et les cours princières, car on y recherche la vérité avec plus d’engagement. » Le Réformateur Strasbourgeois, Martin Bucer, insiste : « Il est urgent de confier la jeunesse à des enseignants croyants et bien formés, et d’offrir aux jeunes, une éducation chrétienne envers Dieu et utile au monde ». Le 21 mai 1536 la ville de Genève se déclare « réformée », par une décision souveraine de ses concitoyens rassemblés. Le droit à l’instruction pour tous est offert, la gratuité est assurée pour les indigents, près de 350 ans avant les grandes lois inaugurant l’école laïque en France.
Académie Protestante de Genève
En 1559 est créée l’Académie Protestante de Genève, véritable « pépinière du protestantisme français ». Calvin explique la raison de cette implantation : « On ne peut profiter de telles leçons (l’étude des Ecritures) que premièrement on ne soit instruit aux langues et aux sciences humaines et aussi est besoin de susciter de la semence pour les temps à venir afin de ne pas laisser l’Eglise déserte à nos enfants, il faudra dresser collège pour instruire les enfants, afin de les préparer tant au ministère qu’un gouvernement civil ». Il écrira aux parents huguenots, subissant la persécution en France : « Envoyez-moi du bois, je vous renverrai des flèches ». De véritables « flèches » sont « taillées » à Genève, et seront envoyées en Europe, en particulier en Ecosse, en Hollande, en Allemagne et en France.
« Veux-tu enseigner aisément ? Commence par Dieu… »
Le professeur de Jean Calvin, Maître Mathurin Cordier[2], interpelle en ces termes les enseignants de sa génération : « Veux-tu enseigner aisément ? Commence par les bonnes mœurs. Commence par Dieu et les biens célestes, t’appuyant sur l’aide de Dieu et non sur tes propres forces. Enseigne, dis-je, aux enfants à aimer le Christ…à tout exécuter à la louange de Dieu, à tout rapporter à Sa gloire… ».
Les Eglises Réformées du Royaume de France ordonnent, dès l’année 1559 : « les Eglises feront tout devoir de faire dresser des écoles et donneront ordre que la jeunesse soit instruite ». C’est ainsi que plus de 2000 écoles protestantes voient le jour en France, ainsi que des collèges et des Académies, l’équivalent de nos Universités. A la question « qu’est-ce qu’éduquer ? », un enseignant protestant de l’Académie de Saumur répond : « c’est enfanter à Jésus Christ ! ».
Le message des Ecritures pris au sérieux, médité, intériorisé, constitue cette « paire de lunettes » au travers desquelles nous voyons Dieu et le monde. La Bible n’est pas un glaçage sur un gâteau qui sans cela ne serait qu’humaniste. Elle constitue ce levain dans le pain éducatif, donnant forme au programme entier de la base jusqu’au sommet, l’imprégnant entièrement. La Réforme abat le mur du dualisme qui tend à faire croire que le monde de l’éducation, des sciences et des lettres n’aurait rien à voir avec celui de la foi, que le culte que nous rendons à Dieu n’aurait rien à voir avec la culture. Il n’y a en fait qu’un monde, c’est celui de Dieu, et la souveraineté du Christ concerne tous les domaines de la réalité et de la culture des hommes.
« La piété lettrée »
Le culte doit donc déborder sur la culture : l’école est vue comme ce moyen d’accomplir le mandat culturel donné à l’homme dès la Genèse : « cultive ton jardin, domine… ». L’école protestante n’est pas ce thermomètre qui enregistre l’opinion de la majorité, qui subit et suit les flux et les reflux des courants philosophiques, elle est ce thermostat qui régule, qui « donne le ton », qui inspirera les pratiques éducatives longtemps après la Réforme. Il n’y a plus d’un côté le monde des sciences et des lettres et de l’autre celui de la foi et de la Parole de Dieu. Cette réconciliation des deux domaines en éducation constitue la « piété lettrée ».
Jean Calvin
« Toute bonne instruction doit commencer par la foi » souligne Calvin. Les Ecritures et la foi sont considérées comme indispensables pour appréhender et interpréter de façon juste la réalité : nous avons ici une des clés de l’impact durable et profond de la Réforme du 16ème siècle sur la société tout entière. 500 ans après nous en goûtons les fruits.
Nous contenterons-nous de célébrer un anniversaire, ou accepterons-nous une remise en question ? Celle-ci constitue très certainement une étape nécessaire à une nouvelle Réforme, porteuse de sens et d’espérance dans un monde « cassé » que Dieu aime pourtant et veut restaurer.
[1] Discours à la Noblesse de la nation allemande. 1520 Œuvres de Martin Luther. T2. Editions Labor et Fides
[2] Nom que porte le nouveau réseau des établissements scolaires protestants évangéliques francophones (ex AESPEF)